Quand l’auteur des Misérables déclarait que « le travail ne peut être une loi sans être un droit », il dénonçait une situation encore bien trop répandue de son temps où les travailleurs, livrés à eux-mêmes, proposaient leur service pratiquement au jour le jour dans des conditions de travail qu’on n’imagine plus aujourd’hui. Pour des salaires le plus souvent calculés à la tâche et sans protection aucune, l’ouvrier du Paris du XIXème était en réalité totalement tributaire des aléas déterminés par la seule loi du marché. Alors, les travailleurs s’organisaient en corporation et mutualisaient une partie de leur salaire pour s’assurer collectivement devant les risques du travail et lutter ensemble pour de meilleures conditions. A l’époque, ces porteurs de progrès et de modernité tels que le fut notre cher Hugo, défendaient l’instauration de droits. Ceux-là même qui permettront petit à petit d’élaborer le droit du travail, la gestion paritaire et la sécurité sociale.
On aurait tort de l’oublier quand, de nos jours, les génies de la Silicon Valley qui se revendiquent du progrès et de la modernité mettent pourtant les bouchées doubles pour contourner toutes les règles visant à garantir l’équité entre le pourvoyeur et le chercheur d’emploi isolé. Empruntant qui plus est les attributs de l’économie collaborative, les plateformes telles qu’Uber cherchent à légitimer leur activité en se faisant passer pour des startups créatives et innovantes, en « win-win » pour l’utilisateur et le travailleur.
La recherche est pourtant vaine, au sein de ce modèle, pour retrouver les principes structurant de l’économie collaborative : (1) la logique d’organisation horizontale, décentralisée et non-hiérarchique ; (2) la mutualisation et l’accès libre aux outils et connaissances par et pour les membres ; (3) la poursuite d’intérêts communs dans une logique de totale coopération des parties prenantes.
En effet, les détenteurs de la plateforme (1) sont seuls à décider de ses règles d’utilisation (notamment du tarif de la course) et des contraintes auxquelles les fournisseurs doivent répondre pour proposer leur service, (2) n’assument pas les coûts qui sont entièrement à charge des chauffeurs (entretien, assurance,…) et (3) n’ont pour seul intérêt que celui de la maximisation du profit. En faisant reposer l’ensemble du dispositif sur les épaules de chauffeurs indépendants sans autre contrepartie que celle de pouvoir prendre part à la plateforme, Uber s’enrichit en violation de nos acquis sociaux et de nos règles fiscales.
Mais peut-on dès lors nécessairement attribuer l’idée de progrès à toute nouveauté technologique (un smartphone, une voiture sans conducteur, etc.) ou organisationnelle (un nouveau modèle économique, une nouvelle activité lucrative, etc.) ? Cette trop brève incursion historique aura au moins le mérite de nuancer une représentation par trop simpliste de l’idée de progrès, lequel serait intrinsèquement bon (ou mauvais, d’ailleurs). Cet a priori moral nous empêche très certainement d’aborder les enjeux que nous présente l’économie des plateformes de manière rationnelle pour répondre en priorité à la question qui compte vraiment : quelle régulation souhaitons-nous développer par rapport à ces avancées technologiques ?
Notre ferme opposition à l’expansion du dumping social au sein de nos populations de travailleurs, aux logiques d’ultra-flexibilité via des jobs « one day » et à la précarisation accélérée des plus fragiles d’entre nous, constitue un premier garde-fou pour une intégration et une utilisation de ces nouvelles opportunités qui soient réellement respectueuses d’autrui et porteuses de progrès social.
Caroline Désir, Ridouane Chahid, Jamal Ikazban, Isabelle Emmery, Marc-Jean Ghyssels, Sevket Temiz, Véronique Jamoulle, Emir Kir, Hasan Koyuncu, Mohamed Azzouzi, Philippe Van Muylder (Président FGTB Bruxelles), Laurette Onkelinx, Charles Picqué, La Fédération Bruxelloise des Jeunes Socialistes.
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