Il y a un peu plus d’un mois, ce Parlement clôturait une mauvaise séquence politique en renouvelant la confiance dans l’action de ce Gouvernement. C’était un acte politique nécessaire qui a permis, je pense, de retrouver le chemin du dialogue. Faire de la politique, ce n’est pas avoir raison tout seul. Ca ne le sera jamais. Creuser le fossé de nos divergences idéologiques, à coups d’anathèmes, témoigne d’une paresse intellectuelle qui consiste à s’accommoder de ce qui nous divise plutôt que de travailler à dégager le commun. Une rétrospective rapide sur cette année parlementaire me rassure, même s’il nous reste une série de dossiers pour lesquels nous avons la même obligation de résultat.
Cette année, ce Parlement s’est saisi de dossiers d’envergure où de large compromis ont pu se dégager, au-delà des clivages majorité-opposition.
Je pense évidemment aux projets du Gouvernement relatifs à la régionalisation du bail, à la réforme de la dotation générale aux communes, ou à l’introduction de tests de situation pour mieux lutter contre la discrimination à l’embauche. Je pense aussi à l’instauration de Zone de basse émission, soutenue ce mardi par la Commission de l’Environnement.
En témoigne également, l’aboutissement des travaux de la Commission interparlementaire sur la gouvernance, où c’est à l’unanimité de ses membres qu’ont été votées de nouvelles règles plus strictes de contrôle et de transparence des mandataires publics. Un travail initié dès le mois de janvier, à l’initiative du Président et des Chefs de groupe, en collaboration avec le Gouvernement et qui aura su prendre le temps nécessaire du compromis – n’en déplaise à certains.
Ou, dans un autre registre, l’amendement voté à l’unanimité permettant l’exonération complète du précompte immobilier pour les biens mis en gestion dans les Agences immobilières sociales, j’y reviendrai. L’ensemble de ces réalisations démontrent notre capacité à agir collectivement, et il est bon de se le rappeler régulièrement.
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Mobilité – Environnement
Car il est des thèmes et des sujets sur lesquels il semble que nous ayons cette capacité magnifique à discourir pour se complaire dans le statu quo. Et un exemple récent m’interpelle.
Quand, après un audit réalisé de manière proactive par le Gouvernement sur l’ensemble des ouvrages d’art de la Région – une recommandation qui, je le rappelle, avait été adoptée à l’unanimité des membres de la Commission spéciale-, Bruxelles Mobilité agit de manière prudente en actant la fermeture temporaire du viaduc Hermann-Debroux, il apparaît bien loin le temps du compromis et de la reconnaissance d’une responsabilité collective. Pourtant, le viaduc aura été fermé en tout et pour tout 5 jours. Alors oui, 5 jours où nous nous sommes rappelés que des milliers de navetteurs se rendent quotidiennement à la capitale en voiture et perdent plus que l’équivalent d’une journée de travail par semaine dans les embouteillages.
Si certains n’ont pu résister à la tentation d’un « Brussels-bashing » en rejetant la responsabilité des 50 dernières années et les aléas de génie civil de ce type d’infrastructures sur le Gouvernement actuel, je dois bien reconnaître que nous avons été surpris de voir à quel point, avec un minimum de bonne volonté politique, des initiatives peuvent tout d’un coup émerger de tout le pays ! Plusieurs mesures logistiques alternatives ont été déployées en un temps record, et ce en plein week-end. Je pense par exemple à l’ouverture en urgence du parking SNCB de Louvain-la-Neuve en parachèvement, à la mise à disposition du parking de Walibi, à l’instauration de navettes vers le réseau de métro ou encore au renforcement de l’offre SNCB.
Comme quoi, le mot coopération peut encore avoir un sens.
J’ai même entendu, si ma mémoire est bonne, un Premier Ministre convoquer dans les prochaines semaines un Comité de concertation extraordinaire sur la mobilité. Convocation qui, soit dit en passant, aurait été inutile si la 6e Réforme de l’Etat avait été exécutée loyalement et si la Communauté métropolitaine était devenue réalité ! Certes, entre-temps, l’accès au 16 depuis Wavre est réouvert, mais j’espère que cet instant de lucidité ne s’est pas pour autant envolé car les Bruxellois sont aussi les victimes collatérales quotidiennes de ces problèmes de mobilité et du défaut de coordination entre les différents niveaux de pouvoir.
La STIB investira 5,2 milliards dans le développement de son réseau de transport en commun au cours des prochaines années ; dans l’attente du RER, la SNCB a investi le développement de son offre « S » dont sa patronne reconnaît qu’elle manque de visibilité. Nous rénovons Bruxelles. L’ère du tout à la voiture est révolue. Nous développons les alternatives et nous réaménageons l’espace public. Aujourd’hui, plus que jamais, notre Région doit devenir un espace de vie qualitatif, plus qu’un lieu de passage.
C’est également l’ambition de la LEZ, la zone de basse émission, qui couvrira l’entièreté du territoire bruxellois et qui place Bruxelles parmi les capitales européennes les plus ambitieuses en la matière. Mon groupe sera particulièrement attentif à sa mise eu œuvre et à l’accompagnement qui sera offert aux Bruxellois pour ce virage nécessaire et ambitieux.
J’en profite, dans ce cadre, pour rappeler qu’à l’initiative de mon Groupe et de mon collègue Ridouane Chahid, ce Parlement a adopté à l’unanimité le principe de la mensualisation de l’abonnement annuel de la STIB. Nous espérons que cela sera traduit dans les faits rapidement, car le coût d’un abonnement reste un frein non négligeable pour la grande majorité des Bruxellois.
Parallèlement à l’introduction de la LEZ, il est nécessaire d’aboutir à une réforme de la fiscalité automobile reposant de manière significative sur des critères environnementaux, tout en offrant des alternatives au diesel qui restent financièrement accessibles et directement disponibles comme le gaz naturel compressible (CNG). Je rappelle que ce Parlement a voté une résolution en ce sens il y a près d’un an. C’est avec insistance que mon Groupe en appelle à la responsabilité de chacune des formations politiques de ce Parlement pour que chaque niveau de pouvoir où ils sont présents s’engage à développer une vision intégrée de la mobilité à l’échelle métropolitaine. La qualité de vie de nos quartiers en dépend.
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Migration
On peut d’ailleurs tenir exactement les mêmes propos en ce qui concerne l’accueil des migrants. On se demande ici ce qu’il faudra pour que le Gouvernement fédéral cesse de balayer ses responsabilités et agisse avec dignité et humanité. Il y a deux ans, ce Parlement consacrait une séance extraordinaire à l’accueil des migrants. A la relecture de ces débats, je me rends compte que rien n’a changé. Et je voudrais reprendre ici les propos de Philippe Close datant du 22 septembre 2015 : « Dans une telle situation, le rôle du politique n’est pas d’attiser les peurs ou d’entretenir des fantasmes mais bien d’agir en fonction des principes et des valeurs qui fondent notre Etat de droit. »
Force est de constater que, dans ces nouvelles fonctions, il est resté fidèle à ce principe. Certains ont critiqué sa discrétion médiatique, je salue ses actes politiques.
Car en l’absence de solution apportée par le niveau compétent, c’est sur les autorités locales et régionale, et surtout sur les nombreuses initiatives associatives et citoyennes, que la prise en charge de cette situation humanitaire repose. J’en profite pour saluer le travail des milliers de bénévoles de la Plate-forme qui offrent tous les soirs un lit ou un canapé à un ou plusieurs migrants épuisés, parce qu’ils considèrent que c’est leur devoir de citoyen et parce que leur Etat ne le fait pas. Je voudrais aussi saluer le boulot quotidien de Médecins du Monde, du Ciré et de toutes les associations qui sont présents depuis des semaines aux côtés des migrants. Tout cela pendant que le Secrétaire d’Etat compétent se borne à tweeter qu’il s’oppose à la création d’un centre d’accueil car cela risque de créer un « appel d’air de criminalité ».
Partout où le PS est aux manettes, nous avons tenté d’apporter des solutions. D’abord par vous, Monsieur le Ministre-Président, ensuite par le Bourgmestre de la Ville. J’espère sincèrement, au nom de mon Groupe, que Ville et Région pourront collaborer efficacement dans ce dossier, dans l’attente que le Gouvernement fédéral se rappelle à ses obligations morales et légales.
Personne ne se grandit à constater l’échec d’une politique humanitaire que nous avons le devoir d’offrir à ceux qui fuient.
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Social – Santé
Si nous mêlons depuis deux ans les enjeux régionaux et bicommunautaires lors de nos débats, c’est qu’il devient criant de croiser et d’intégrer nos politiques en la matière. Cette lecture transversale de l’ensemble de nos compétences doit viser une accessibilité renforcée au social et à la santé, dans chaque quartier de notre Région : c’est la vision que mon Parti défend d’une approche territoriale de l’action sociale.
Au regard de cette ambition, et des compétences transférées dans le cadre de la 6e réforme de l’Etat, notre cadre institutionnel intra-bruxellois sera vite dépassé. Cette réflexion, que vous aviez initiée l’année passée Monsieur le Ministre-Président, doit être approfondie et je réitère notre disponibilité à saisir ces enjeux pour améliorer davantage nos politiques publiques en la matière. Forte de ses nouvelles compétences, consciente également que les efforts ne viendront plus d’un autre niveau de pouvoir, la Région doit redéfinir les priorités qu’elle s’assigne.
La lutte contre la pauvreté, toutes les formes de pauvreté, doit être un axe transversal qui ne doit pas concerner que les matières personnalisables mono-communautaires ou bicommunautaires mais bien concerner toutes les matières régionales : l’heure est aux politiques intégrées et aux financements croisés. Mon Groupe plaide à nouveau pour qu’un plan de lutte contre la pauvreté soit établi et que des actions concrètes puissent être financées et rendues opérationnelles dès 2018, avec une attention particulière aux quartiers mal desservis et en difficulté, qui se concentrent dans le croissant pauvre de notre Région.
Si nous avons fait le pari de mener une politique ambitieuse de développement territorial c’est aussi parce que, par essence, il s’agit d’une politique intégrée des enjeux urbains. Il est aujourd’hui déterminant d’entamer un virage social ambitieux qui intègre les dimensions de pauvreté et d’inégalités dans nos politiques.
A Bruxelles, nous avons déjà développé la logique contractuelle avec nos contrats de quartiers hier, et nos contrats de rénovation urbaine aujourd’hui. Ces politiques se sont développées en s’appuyant, à raison, sur nos communes qui ont été à la manœuvre de nos politiques de revitalisation urbaine grâce au soutien financier de la Région. Pour demain, mon Groupe plaide à nouveau pour que nous développions des logiques contractuelles similaires avec nos CPAS, des « Contrats locaux de santé » à la bruxelloise : c’est notre logique d’une action sociale en prise avec son territoire, qui coordonne les initiatives sociales et de santé pour lutter plus efficacement contre le risque de précarité et de pauvreté, et ses conséquences sur les Bruxellois.
Nous sommes convaincu que cet approche par territoire doit être décloisonnée en dépassant les compétences institutionnelles, sectorielles. Il serait aujourd’hui difficile de contester l’importance d’un croisement des politiques de santé et du social.
Les communes, les CPAS et leur coordination sociale doivent servir à construire ce diagnostic en Région bruxelloise, faire une « analyse partagée » du territoire avec tous les acteurs de terrains : médecins, pharmaciens, maisons médicales, psychologues, kinésithérapeutes, aides-soignantes, infirmières, maisons de repos, soins à domicile, et la liste est longue. La lutte contre le non-recours aux droits passera par ce travail de mise en réseau et de partenariat.
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Sans-abrisme – Logement
Ce sera d’ailleurs tout l’enjeu de l’ordonnance organisant le secteur de lutte contre le sans-abrisme, de même que la reprise par la Région du Samusocial. Si une meilleure intégration des politiques d’accompagnement et d’urgence est nécessaire, il faut dépasser aujourd’hui la vaine opposition entre l’urgence et l’accompagnement. Investir plus le champ de l’accompagnement est nécessaire, mais cela ne peut pas se faire au détriment de l’urgence ! Vous affichez votre volonté de soutenir davantage la deuxième ligne et singulièrement le housing first, tout en conservant un accueil bas seuil, inconditionnel, gratuit et pluridisciplinaire : voilà l’objectif d’une vision intégrée que nous devons réussir.
La lutte contre le sans-abrisme, c’est avant tout la défense du droit au logement. Et j’aimerais profiter de cette tribune pour souligner l’important travail d’accompagnement qu’ont la possibilité de déployer les associations et les CPAS en la matière. La loi dite “d’humanisation des expulsions” de 1998 – passez-moi l’expression – confère au CPAS la mission légale d’offrir l’accompagnement de travailleurs sociaux chargés de proposer une aide la plus appropriée. Cette prise de contact avec les personnes concernées et cet accompagnement demande un travail important. Celui-ci permet parfois d’éviter l’expulsion ou de travailler à des solutions de relogement même temporaires en lien avec le réseau des maisons d’accueil par exemple.
Devant la difficulté rencontrée par les locataires confrontés à des loyers sans cesse en croissance, le moindre accident de la vie les conduit à un risque d’arriérés de loyers : il est essentiel que les CPAS puissent remplir pleinement cette mission, qui se trouve au croisement des compétences régionales et bicommunautaires. Mieux vaut prévenir que guérir en cette matière aussi. Une expulsion évitée est aussi un relogement difficile à assurer en moins. Un financement adéquat de ce travail de prévention éviterait de nombreuses situations dont le coût humain et matériel est autrement plus élevé.
Dans ce cadre, mon Groupe souhaite rouvrir la discussion sur la nécessité de mettre en œuvre un moratoire hivernal sur les expulsions. En fixant une période de trêve hivernale allant de novembre à mars, la volonté n’est pas d’interdire purement et simplement le recours à l’expulsion mais cela vise à établir des balises structurant cette procédure pour protéger les familles en difficultés qui n’ont pas les moyens de se reloger facilement.
Je rappelle que des moratoires ont déjà été mis en place au niveau du logement social à Bruxelles depuis 2000 par circulaire, et qu’en considérant les 45.000 ménages bruxellois qui sont en attente d’un tel logement, rien au niveau des principes ne s’oppose au fait que le raisonnement qui a prévalu pour le logement social soit d’application pour ces personnes dans le parc locatif public et privé durant la période hivernale.
Cela renforce, si nécessaire, la nécessité d’accroître le parc de logements – qu’ils soient publics ou privés – à destination sociale. C’est tout le sens du vote intervenu hier et qui permettra d’exonérer complètement de précompte immobilier les biens confiés en gestion aux AIS bruxelloises.
Je réitère ici la position du PS bruxellois : soyons ambitieux, contraignons les multipropriétaires bruxellois à disposer dans leur parc de logements d’un minimum de 15% de logements AIS. Cette même règle devrait être d’application pour tous les promoteurs immobiliers qui envisagent des projets de plus de 15 logements neufs sur le territoire régional.
Par ailleurs, je me réjouis que nous débutions prochainement les auditions relatives à la mise en œuvre d’un fonds public universel, alimenté par l’ensemble des garanties locatives actuellement constituées auprès des banques. La création d’un tel fonds est une revendication unanime des partenaires sociaux bruxellois du Conseil économique et social, des CPAS, comme de nombreux acteurs associatifs.
Au-delà du merveilleux outil statistique que cela peut devenir pour mettre en pratique une régulation contraignante du marché locatif privé, ce fonds doit devenir un levier de protection pour les locataires précarisés à travers la constitution progressive de la garantie pour les publics précarisés ou une assurance perte de revenus afin d’assurer le paiement du loyer. C’est aussi mettre en pratique un mode de gestion paritaire, comparable à celui de la sécurité sociale, représentative des propriétaires et des locataires, dont les moyens de financement pourraient aussi être assurés via des cotisations sur les loyers.
Etendre le champ d’action de la sécurité sociale, en associant les propriétaires et les locataires dans une démarche commune de régulation du marché locatif pour mettre fin aux abus, voilà l’idéal que nous poursuivons à travers cette proposition.
C’est via la réussite de ce type de relations, où des parties ont un intérêt commun à s’entendre, que le secteur de la santé s’est structuré et a pu connaître le développement qui fait son excellence aujourd’hui.
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Allocations familiales
De gestion paritaire, il en est également question pour les allocations familiales. Il ne faut pas se leurrer. Nous savions que le transfert de la compétence ne serait pas une sinécure. Flandre et Wallonie ont avancé leur modèle. A Bruxelles, plusieurs visions s’opposent autour d’un même objectif : un modèle qui offre un soutien accru aux familles précarisées, se distancie d’un modèle nataliste révolu, et est adapté à la sociologie bruxelloise. En réalité, pour comprendre cette réforme, il faut toujours avoir à l’esprit que nous concevons avant tout un modèle global. Avant de déterminer qui perd et qui gagne, il faut intégrer tous les paramètres d’une réforme. Peu importe finalement le montant de base, tant que cette réforme bénéficie tout de suite aux familles qui en ont besoin.
Et à en croire le modèle discuté, 70% des familles bruxelloises pourraient bénéficier d’un tel basculement – les autres 30% n’y perdant rien. Notre objectif a toujours été de privilégier la dimension sociale des allocations familiales, c’est aussi une interprétation valable de ce slogan qu’à force de répéter, on en viendrait à en oublier le sens : 1 enfant = 1 enfant. Tantôt bruxellois, tantôt flamand ou wallon. La force du slogan, peu importe ce qu’on met derrière, face à la complexité de situations sociales toutes singulières.
Dire que le modèle que nous proposions aurait fait perdre de l’argent aux familles est tout simplement faux et ne fait qu’ajouter du chaos à une inquiétude qui grandit chez les gens en demande de clarté.
Alors, avançons ! Il convient aujourd’hui de ne plus tergiverser si nous voulons pouvoir assurer une individualisation des dossiers et assurer le maintien de la délivrance des allocations. Il n’est pas trop tard, mais il est moins une.
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Conclusion
« Le malheur de la vie se passe à dire : il est trop tôt ou il est trop tard » disait Flaubert dans ses Pensées.
Chacun des 18 mois de cette législature sont autant de jours utiles où nous devons poursuivre inlassablement nos objectifs. Le temps des discours est passé, il reviendra. Aujourd’hui plus qu’hier et demain plus qu’aujourd’hui, c’est d’accords, de compromis, de responsabilité que doit se nourrir la politique. Celle pour laquelle nous nous sommes engagés. Pas de polémiques stériles et d’invectives creuses. Au risque, pour elle, de s’oublier elle-même et d’emporter avec elle, ce qu’il reste de nos convictions profondes et sincères.
Caroline Désir
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